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Acacia

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Poésie du samedi, 60 (nouvelle série)

Houellebecq, je lui avais déjà consacré une chronique a tonalité fort sociale à l'époque en 2005 et je le considère toujours comme un grand poète, ses qualités de prosateur tenant plus à sa capacité à bien sentir l’époque qu’à la sophistication de l’écriture. C’est sans doute pourquoi Libération du 2 avril lui a consacré sa Une et plusieurs pages où l’on peut lire une passionnante interview. Il s’agissait de saluer le dernier « Houellebecq », événement littéraire médiatique incontournable qui drainera peut-être de nouveaux lecteurs vers la poésie… Le dernier opus houellebecquien, Configuration du dernier rivage, se révèle donc de très bonne tenue malgré quelques amusettes imputables au penchant volontiers provocateur de l’auteur (essentiellement dans le passage intitulé Mémoires d’une bite). Mais la tonalité générale est plutôt grave.

L’interrogation sur nos fins dernières affleure dans la plupart des pages de cette singulière configuration, tandis que le sel de la vie semble se dissoudre inexorablement comme le sable s’écoule entre les orteils de celui qui justement arpente ce dernier rivage… C’est tout le tragique de la condition humaine et l’expérience de ses limites qui s’expose dans ce recueil très dense. Quête de sens ? Certainement. Misère de l’homme sans dieu ? Peut-être. « Où est-ce que je suis ? (…)  Où est le paradis ? Où sont passés les dieux ? » s’interroge Houellebecq dans « Isolement », une pièce du mouvement intitulé gaiement Les parages du vide.

Dans ces mêmes parages, j’ai particulièrement aimé la richesse de certaines rimes comme acacia / gracia / dissocia…

 

Tres Calle de Sant’ Engracia

Retour dans les parages du vide

Je donnerai mon corps avide

A celle que l’amour gracia.

 

Au temps des premiers acacias

Un soleil froid, presque livide

Éclairait faiblement Madrid

Lorsque ma vie se dissocia.

 

J’ajoute quelques poèmes sans titres qui me parlent particulièrement, allez donc savoir pourquoi…

 

Etre un petit chien blanc qui court sans se lasser

après la même branche,

Ou un vieux prêtre noir qui dit sans pleurnicher

la messe du dimanche :

Bref, avoir une foi, minuscule ou sublime,

un ensemble de gestes

Comme une danse idiote, nous dirons le pas turc,

une danse modeste

Qu’on danse sans effort, minime apprentissage,

très peu de réflexion :

Atteindre le bonheur immobile et cyclique de la répétition.

 

 

Pour moi qui fus roi de Bohême,

Qui fus animal innocent

Désir de vie, rêve insistant,

Démonstration de théorème

 

Il n’est pas d’énigme essentielle

Je connais le lieu et l’instant

Le point central, absolument,

De la révélation partielle.

 

Dans la nuit qui dort sans étoiles,

Aux limites de la matière

S’installe un état de prière :

Le second secret s’y dévoile.

 

 

Et voici le poème qui parachève le recueil, par un retour à un certain commencement, « la racine de l’amour, le cœur aperceptif » :

 

Le maître énamouré en un défi fictif

N’affirme ni ne nie en son centre invisible

Il signifie, rendant tous les futurs possibles

Il établit, permet un destin positif.

 

Ressens dans tes organes la vie de la lumière !

Respire avec prudence, avec délectation

La voie médiane est là, complément de l’action,

C’est le fantôme inscrit au cœur de la matière

 

Et c’est l’intersection des multiples émotifs

Dans un noyau de vide indicible et bleuté

C’est l’hommage rendu à l’absolue clarté

La racine de l’amour, le cœur aperceptif.

 

Michel Houellebecq, Configuration du dernier rivage, Flammarion 2013.


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